Le printemps noir

       Chronologie des evenements
  1. Exécutions sommaires et fusillades
  2. Le 25 avril 2001 à 10h00 du matin, les lycéens et les collégiens de Ouzellaguen (Béjaïa) organisaient une marche pacifique pour dénoncer l'assassinat du jeune Guermah et l'arrestation des collégiens de Amizour (Béjaïa), 5 personnes ont été tuées par balle, alors qu'elles fuyaient les assauts des

    gendarmes14. Kamel Makhmoukhen, 19 ans, première victime du Printemps Noir, a reçu deux balles dans le dos alors qu'il tentait de s'abriter, fuyant l'assaut des gendarmes de la brigade de Ouzellaguen. À quelques kilomètres de là, le jeune Boukhedad, âgé de 15 ans, a subi le même sort : il est exécuté, le 25 avril 2001, de trois balles dans le dos par le chef de brigade, Issam, de la gendarmerie de Seddouk.

    Trois jours après, du côté de Draâ El Mizan, dans le village de Aït Yahia, Chaibet Hocine, 16 ans, a été exécuté, lors d'une fusillade, par des gardes communaux. M. Djebbouri Mohamed, maire de cette localité, racontait alors que "les membres de la garde communale de Draâ El Mizan, qui sont Yazid Rabah, Saâdoui Mohand Amokrane, Herda Rabah et Tobal Ramdani ont reçu l'ordre de leur responsable d'ouvrir le feu sur la population et ces derniers n'ont jamais été inquiétés ni par la justice ni par les autorités".

    A quelques kilomètres de là, à Larbaâ Nath Irathen (Tizi-Ouzou), 5 manifestants ont été exécutés par des snipers, tirant de la terrasse de la brigade de gendarmerie. Les témoignages15 recueillis sur place sont éloquents : Mouloud Belkacem, âgé de 30 ans, a été victime d'un sniper alors qu'il essayait de porter secours à un blessé, Arezki Hammache, 31 ans, lui aussi victime d'un tir de sniper. Ils ont été, ensuite, exécutés arbitrairement par des gendarmes d'une balle dans la nuque et dans le dos.

    Souvent, les personnes tuées se trouvaient à des dizaines de mètres des lieux d'affrontements, pourchassées en dehors de la ville, loin des brigades de gendarmerie, des commissariats de Police et des édifices publics. Ainsi, à Akbou, entre le 18 et le 19 juin 2001, 5 jeunes ont trouvé la mort et une vingtaine ont été blessés par balle lors de fusillades, alors qu'ils étaient loin du centre ville et à 1500 mètres du commissariat. Un des rescapés de la fusillade, S. Djaffar, 22 ans, blessé à l'épaule par balle témoignait alors : "On était assis dans le quartier lorsque plusieurs fourgons de la police arrivent à toute vitesse au carrefour de Guendouza, exhibant leurs armes, les CNS descendent de leurs camions et nous arrosent de bombes lacrymogènes suivies de tirs de sommation. Les jeunes du quartier alertés, se sont regroupés pour faire face à la descente des CNS, d'autant plus que la presse de la veille avait rapporté des informations sur des descentes punitives dans plusieurs localités de Béjaïa, de Tizi-Ouzou, de Sétif et de Bouira. On était à une soixantaine de mètres des fourgons de polices, venus en renfort pour permettre à un convoi de gendarmes de passer. Juste après leur passage, les CNS ouvrent le feu sur nous. J'étais à une trentaine de mètres d'eux, quand un des CNS armé de sa Kalachnikov, posté derrière les autres, sort et tire des rafales dans notre direction faisant plusieurs morts, ont Karim Sidhoum et une quinzaine de blessés. Il devait être entre 17h30 et 18h00 ". À Tichy, des éléments des forces anti-émeutes de la gendarmerie ont pourchassé et tué un jeune de 15 ans qui fuyait dans un verger.

    2) Des tirs de snipers

    Les sources hospitalières ainsi que les différents témoignages recueillis sur place, montrent que les forces de l'ordre ont utilisé dès le départ des moyens musclés pour répondre aux manifestations de rue. Aux jets de pierres, les gendarmes et les CNS ont répondu avec des armes de guerres de type Kalachnikov ou Séminov. Le rapport de la commission Issad16 mentionne qu'une expertise balistique (celle de Guermah) affirme que les orifices de sortie des balles de Kalachnikov peuvent avoir un diamètre de plus de six centimètres.

    Les médecins de l'hôpital de Tizi-Ouzou, de Larbaâ Nath Irathen, d'Azzazga et d'Akbou, qui avaient traité les victimes du mois d'avril 2001, ont confirmé avec certitude les informations qui nous étaient parvenues sur la présence de snipers. "Presque toutes les victimes que nous avons reçues montrent avec précision des impacts de balles sur la tête, le cou et la moitié supérieure du thorax. Il y a beaucoup moins d'impacts abdominaux ou thoraco-abdominaux. Les localisations des blessures démontrent que les tireurs avaient l'intention dès le départ de tuer avec préméditation."

    D'ailleurs, les conclusions du rapport Issad sont assez significatives : il relève que "la plupart des morts ont été

    touchés dans les parties vitales les plus fragiles, situées dans la partie haute du corps humain (au-dessus du sixième espace intercostal) et qui laissent peu de chances à une thérapeutique, fut-elle pratiquée d'extrême urgence et la grande proportion de ces localisations mortelles paraît difficilement imputable au hasard de la dispersion des projectiles".

    Les victimes ont été touchées à plus de 80 mètres des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police, alors qu'elles étaient sans armes et fuyaient les assauts des forces anti-émeutes. D'après nos enquêtes, les forces de l'ordre ont utilisé des snipers pour réprimer les manifestants ou tout simplement pour exécuter des personnes. Le ou les tireur(s) étaient souvent, postés sur des terrasses comme à Larbaâ Nath Irathen, Maâtkas, Oudhias, Ouzellaguen et à Azazga.

    Plusieurs témoignages ont confirmé la sauvagerie et la volonté déterminée des forces de l'ordre d'exécuter des civils sans états d'âme. À Ouzellaguen le 26 avril 2001, Ibrahim Saddek a été roué de coups et un des gendarmes lui a craché dessus alors qu'il gisait par terre, blessé à la suite d'un tir de sniper. Le 27 avril, à Azazga, (Tizi-Ouzou), un gendarme sniper, posté sur une terrasse, a exécuté de sang froid cinq personnes en 30 minutes17.

    À Akbou, (Béjaïa), le jeune Abdelkrim Mesbah, âgé de 20 ans, a été victime d'un sniper, un policier en civil, posté sur la terrasse du commissariat de police d'Akbou. Le témoin a précisé que la jeune victime "était assise à une trentaine de mètres du commissariat, il était en train de manger quand il a reçu une balle en pleine tête. Alors que les autres policiers et CNS, continuaient à tirer pour nous empêcher de le secourir. Il a fallu qu'on fasse le tour, 300 à 400 mètres de plus pour rejoindre l'hôpital, Abdelkrim avait perdu beaucoup de sang, il mourra quelques minutes après".

    À Sidi Aïche, dans le village de Takriets, Messalti Hafid, âgé de 13 ans, a été tué par un gendarme des brigades anti-émeutes alors qu'il sortait de chez lui. Sa famille racontait que "le gendarme en question était à une centaine de mètres de la victime, le gendarme s'est mis à genou, a visé la tête de Hafid et lui a tiré une balle". À Alger, le jeune Hanniche Hamid,17 ans, a été tué par un militaire posté dans sa guérite, alors qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui après la marche pacifique du Front des Forces Socialistes18, le 31 mai 2001.

  3. Tortures et mauvais traitements
  4. Après chaque arrestation, les pratiques de tortures et de mauvais traitements par les forces de l'ordre, ont été

    systématiques. Des centaines de cas ont été enregistrés par la LADDH.

    Idir C, 21 ans, raconte : "J'ai été emmené et mis en cellule, les deux gendarmes qui m'ont embarqué se battaient entre eux pour savoir qui des deux allait commencer à me battre. Ils m'ont déshabillé et battu, à tour de rôle, sans arrêt de 15h00 à 21h00. Par la suite ils m'ont sorti dans la cour de la brigade pour ramasser les pierres ensuite, ils m'ont menacé de mort si je ne mont[ais] pas sur la terrasse de la brigade pour crier aux passants : Vive la Gendarmerie !".

    Dans la même période S. Dahmane, né le 9 septembre 1972, a été agressé par des gendarmes alors qu'il essayait, avec d'autres, d'éteindre une voiture en feu. "J'ai reçu un coup de barre de fer sur la tête et j'ai perdu connaissance. Ce n'est qu'à mon réveil à l'hôpital que mes amis, qui ont pu me tirer de là, m'ont raconté que les gendarmes, une dizaine d'après eux, m'ont roué de coups et mis à nu avant de me délester de mon argent (2000 dinars algériens, 200 FF) et me jeter près de la voiture en feu. J'ai eu trois dents cassées. (…)".

    Dans cette localité uniquement à Tadmaït (Tizi-Ouzou), nous avons eu une vingtaine de témoignages de ce genre. Les forces de l'ordre n'ont épargné personne. À Chorfa (Bouira), un jeune, Walid S., 14 ans, a été arrêté, torturé, terrorisé toute la nuit par les gendarmes de la brigade de Chorfa. Le lendemain, un fourgon de la gendarmerie, transportant une dizaine de personnes arrêtées et qui avaient subi les mêmes traitements, s'est dirigé vers Bouira pour les présenter devant le juge. L'une d'entre elles a vu comment le jeune Walid S. a

    été jeté sous un pont alors que le camion roulait. D'après ce témoin, les gendarmes étaient persuadés que le jeune mineur, vu son âge, allait être relâché par le juge. À quelques kilomètres de là, à Ouzellaguen, un jeune de vingt ans capturé par les gendarmes, s'est fait tabasser par une trentaine d'entre eux à l'intérieur de la brigade de Hellouane.

    Il s'en est sorti avec la mâchoire déplacée, la jambe droite et son bras fracturés.

  5. Expéditions punitives, représailles, pillages et vols
  6. Plusieurs témoignages et informations relevés par la presse font état de campagnes de représailles et d'expéditions punitives, notamment durant le mois de juin 2001. À Chorfa, le 20 juin 2001, des brigades de gendarmerie sont arrivés en renforts. Les citoyens parlaient de "gendarmes avec un physique incroyable", ce qui leur a fait croire qu'il s'agissait "d'hommes des forces spéciales, les bérets rouges19 déguisés en gendarmes." Les mêmes informations ont été rapportées dans la presse du mois de juin 2001 sur

    l'éventuelle présence de bérets rouge à Akbou et à Béjaïa déguisés en gendarmes, appelés en renfort pour mater les manifestants de Kabylie. Vers 22h00, racontaient les citoyens de Chorfa rencontrés sur place, ils ont commencé à sortir parderrière la gendarmerie en faisant le mur. Ils avaient des armes blanches et lançaient des pierres dans les maisons en menaçant et en insultant les habitants. Sur leur passage, ils cassaient les éclairages publics, saccageaient les commerces et tentaient des incursions dans les maisons, ils se sont

    attaqués au Centre Culturel pour détruire la stèle de Matoub Lounes, et tenter ensuite d'y mettre le feu. Vers minuit, les jeunes se sont constitués en groupes d'autodéfense armés de pioches, de barres de fer, de couteaux pour protéger leurs quartiers. Les appels à la vigilance et à l'autodéfense fusaient des hauts-parleurs de la mosquée de Chorfa.

    Plusieurs localités ont vécu cette situation, juste après la marche du 14 juin 2001. Des gendarmes et des CNS armés de cocktails Molotov, de pierres et d'armes blanches se sont attaqués à des maisons et des locaux de partis politiques, cassant les voitures des particuliers, saccageant et pillant les commerces.

    Dans la wilaya de Bejaïa, à Akbou, du 18 au 19 juin 2001, les CNS, après avoir tiré sur la foule, se sont emparés de l'Hôpital et ont saccagé les éclairages publics pour ensuite piller les magasins et boulangeries. Dans la même journée, une descente punitive à Haïzer, dans la wilaya de Bouira, a fait 5 blessés parmi les habitants et plusieurs magasins pillés. Du côté de Tizi-Ouzou, les mêmes scènes de pillages et d'expéditions punitives ont eu lieu à Fréha, Azazga et Larbaâ Nath Irathen, Tizi Rached, Béni Yenni, où des gendarmes ont

    organisé une descente punitive nocturne saccageant commerces et locaux, suite à une tentative, par de jeunes

    manifestants, de brûler un camion de la gendarmerie. À Beni Maouche (Sétif), même chose. Le jeune commerçant Ouchabaâ K. a vu, comme d'autres, son commerce pillé et sa voiture saccagés par les gendarmes, alors que d'autres commerces ont bizarrement été épargnés. Ouchabaâ expliquait que ceux "qui ont été la cible des gendarmes étaient ceux qui ne voulaient pas céder à leurs pressions auparavant. À plusieurs reprises, ils ont essayé de faire des courses, chez moi, gratuitement et j'ai toujours refusé. Et je suis sûr que c'est un règlement de comptes sinon comment expliquer qu'entre deux commerces saccagés, il y [en] a un d'épargné". Cette campagne de terreur, suite aux descentes punitives du mois de juin 2001, a fait fuir des familles entières habitant les environs de brigades de gendarmerie ou de commissariats. Ainsi, à Tizi Rached, le 21 juin 2001, suite aux expéditions punitives nocturnes, les habitants vivant à proximité de la gendarmerie ont abandonné leur domicile dès le lendemain matin.

  7. Destruction, attaques et occupation des hôpitaux

Durant ce Printemps Noir, les forces anti-émeutes, qu'elles soient de la gendarmerie ou de la police, ont souvent pourchassé des manifestants ou des blessés à l'intérieur des hôpitaux. Plusieurs cas ont été signalés et dénoncés par des médecins, notamment à Tizi-Ouzou où le principal hôpital de la région a été "visité" à plusieurs reprises dans la nuit par des gendarmes pour tabasser les blessés.

À El Kseur, S. A., membre du Croissant Rouge Algérien (CRA), a raconté la journée du jeudi 24 mai 2001, qui avait fait 365 blessés : "Les CNS et les gendarmes, sous l'effet de l'alcool se sont acharnés sur la population. Ils ont jeté des bombes lacrymogènes à l'intérieur des maisons et ont tenté de pénétrer dans d'autres. Ils ont pillé des commerces, saccagé une pharmacie et tabassé un handicapé en lui brisant une

jambe alors qu'il était chez lui. Ils ont encerclé la polyclinique et interdit le passage aux blessés ce qui nous a amenés à ouvrir, avec des infirmiers et des médecins, des salles de soins dans des garages de particuliers. En tant que membres du Croissant Rouge avec le gilet officiel de secours, on a été menacés de mort à plusieurs reprises. Et ils ont essayé à maintes reprises de nous bloquer pour nous arracher des mains les blessés". Même chose à Larbaâ Nath Irathen, à Boghni et Draa El Mizan (Tizi-Ouzou), des bénévoles du Croissant Rouge Algérien ont été agressés par des gendarmes. On leur a même tiré dessus alors qu'ils

essayaient de secourir des blessés.

Lors de la marche du 14 juin 2001 à Alger, plusieurs dizaines de citoyens ont été tabassés par des policiers en civil ou en uniforme réglementaire. Mohand Chérif H., 22 ans, était parmi ces blessés. Brutalisé par des policiers du commissariat du 8e, il a ensuite échappé à une tentative d'assassinat par des policiers en civil à l'intérieur même de l'hôpital Mustapha Bacha d'Alger : "Ils étaient trois et faisaient le tour des blessés en les insultant. L'un d'eux avait un long couteau à la main. Voyant mon bras dans le plâtre, ils s'arrêtent et me rouent de coups en me menaçant de mort, j'ai pu fuir au moment où un des infirmiers, alerté par mes cris, est rentré dans la salle"

À Akbou, lors des deux journées sanglantes du mois de juin (18 et 19 juin), les CNS avaient carrément pris en otage l'hôpital, interdisant le passage des blessés et des citoyens, et menaçant de mort le personnel médical qui s'occupait des blessés. Il a fallu que le maire de la localité ouvre des salles de soins à l'intérieur de la Mairie.

Dans un communiqué remis à la presse le 18 juin 2001, les citoyens de Beni Maouche, situé à la frontière des wilayates de Béjaïa et de Sétif, ont dénoncé les représailles dont ils ont été victimes par les gendarmes. Les fonctionnaires de la Mairie de Beni Maouche rencontrés sur place ont confirmé que des gendarmes venus en renfort, se sont attaqués au dispensaire, l'ont saccagé et y ont mis le feu, alors que c'était le seul lieu de soin de toute la région.

Sources  : http://www.fidh.org

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